L'histoire de ce « journal d'une sortie de prison » est celle d'une longue association d'idées, celles des autres et les miennes. Fin janvier 2013, je publie un article sur Rue89, révélant que l'entreprise Thales vient de remporter le marché français du bracelet électronique pour les quatre ans à venir. Pour 50 millions d'euros, le géant de l'aéronautique, de la défense et de la sécurité doit fournir au ministère de la Justice la nouvelle génération de bracelets fixés à la cheville des condamnés. Cet aménagement de peine, cinq fois moins cher que la prison et bien pratique pour les désengorger, connaît un succès exponentiel depuis plusieurs années.
Sur Twitter, un « Fred » que je ne connais pas partage le lien vers mon article, avec un rapide commentaire montrant qu'il maîtrise le sujet. Nous échangeons quelques mails. Frédéric Lauféron dirige l'Association de politique criminelle appliquée et de réinsertion sociale (Apcars), dont le siège, quelques pièces exiguës dans les murs du Palais de justice de Paris, est collé au 36, quai des Orfèvres. Partenaire de longue date de l'administration pénitentiaire, l'Apcars gère deux centres d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS), baptisés le Safran et le Verlan. Des sortants de prison ou des détenus en aménagement de peine font appel à eux pour obtenir un hébergement, souvent en hôtel social, et un accompagnement.
Je ne réalisais pas à quel point la politique pénale dépendait de ces formes de « sous-traitance ». Le suivi judiciaire et la surveillance des personnes placées sous main de justice restent l'apanage de l'administration pénitentiaire. Mais leurs conditions matérielles d'existence reposent souvent sur le secteur associatif. Les détenus qui demandent à sortir de prison en conditionnelle, sous bracelet électronique ou en semi-liberté doivent démontrer au juge d'application des peines qu'ils auront quelque part où dormir, une fois dehors. Les promesses ne suffisent pas, il faut des attestations écrites. Le centre d'hébergement représente le dernier espoir de sortir quand leur famille ne peut pas ou ne veut pas les accueillir, lorsqu'ils ont perdu leur appartement pendant la détention, ou s'ils ont toujours squatté à droite et à gauche.
Il est compliqué, en tant que journaliste, de bien parler de la prison. Par définition, ceux qui la connaissent de l'intérieur sont difficiles d'accès. Bien sûr, on peut toujours joindre d'anciens détenus, voire quelques prisonniers équipés d'un portable. Des opportunités de reportages existent. Les acteurs du monde carcéral – surveillants, directeurs, intervenants associatifs et administratifs, magistrats, avocats et autres – ont des tonnes d'histoires à raconter. Mais il n'est pas facile de se renouveler. Comment ne pas se borner à égrener les chiffres de la surpopulation carcérale qui tombent chaque mois, ou à raconter seulement les initiatives qui sortent de l'ordinaire ?
Le désintérêt, voire le mépris de la plupart des lecteurs pour tout ce qui concerne la prison est flagrant. Ce monde leur est étranger, personne de leur entourage n'a jamais été incarcéré et ils se sentent à mille lieues des tribunaux. À lire les commentaires laissés sous les articles consacrés au monde carcéral, comme à la délinquance en général d'ailleurs, il semble qu'à leurs yeux la France soit déjà trop clémente avec ses condamnés. On peut en prendre acte et limiter le nombre d'articles au minimum syndical, ou bien estimer que ce sujet mérite de se creuser la tête. Ma rédaction ne s'étant heureusement pas résignée, elle a opté pour la deuxième solution.
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